Le style de Bizen | DemysTEAfication

22 février 2012

Le style de Bizen

bizen yaki

Bizen se situe dans la région de Chugoku, préfecture de Okayama, et le principal centre de production de la céramique de style Bizen se trouve dans la bourgade proche, Inbe. S'il y a bien un style de céramique japonaise qui, à mes yeux, incarne formellement l'esprit du Wabi-sabi, c'est bien celui de Bizen. Ici, la "couverte accidentelle" règne en maître, le rêche, l'âpre, l'aspect brut du grès dominent sans partage.

La cuisson traditionnelle se fait aux alentours de 1250 ° Celsius. Elle se fait avec du bois de pin et dure de 10 à 15 jours, toujours pour les fours traditionnels, temps pendant lequel il faut bien sûr alimenter manuellement le four et qui entraine une grosse consommation de bois.

Comme toujours, tout paraît simple dans le grès japonais, mais rien ne l'est en vérité, et il y a plusieurs genres dans le style Bizen, et parfois plusieurs genres s'expriment sur une même pièce ...

Tout d'abord, il y a le Hidasuki :

hidasuki

bizen

Le hidasuki ou "corde de feu" est certainement le genre le plus récent, puisqu'il nécessite une cuisson en four à gaz pour conserver cet aspect clair. L'objet est d'abord entouré de cordes de paille de riz puis mis à cuir dans un four moderne, ce qui cuit l'argile sans permettre aux retombées de cendre de la marquer. Les cordes, elles, brûlent et créent une couverte aux endroits où elles passaient.

Il y a ensuite le Botamochi :

botamochi

Il s'agit plus d'une technique que d'un genre à proprement parler : un "dessin" est créé en posant un morceau ou des morceaux de céramique réfractaire sur ou à proximité d'une pièce de plus grande taille lors de la cuisson, ce qui empêche les retombées de cendres à ces endroits. On place également parfois des pièces céramiques sur d'autres pièces plus grandes ce qui va créer d'autres types de variations de couleurs, genre que l'on nomme alors Fuseyaki. Le genre Goma, en particulier, se retrouve également sur les pièces du genre Botomachi, bien que dans la photographie ci-dessus, nous ayons un Botomachi sur un Sangiri partiel suite à enterrement d'une partie de la pièce dans la cendre.

Le Goma est lui le résultat de retombées de cendres de bois de pin, créant une couverte relativement épaisse par endroits seulement :

chawan

bol a the bizen

goma

Il s'agit d'un genre relativement répandu, car très simple, cette couverte étant à l'origine une couverte accidentelle. Le résultat est une couverte, partielle ou non suivant la pièce, assez jaune tirant sur le brun avec parfois des points plus sombres, presque noirs, parfois semblables à des grains de sésame que l'on aurait projetés sur la partie de la pièce la plus exposée aux retombées de cendres. Parfois les retombées de cendres sont si nombreuses qu'elles produisent des effets de coulures et prennent le nom de "Tamadare". Suivant les effets et le mélange des diverses techniques exposées ici, on nomme aussi Kasegoma le type de couverte lorsque celle-ci se pare de tons dans la gamme des verts.

Le AoBizen ou "Bizen bleu" est un genre obtenu par la combinaison d'une cuisson en réduction ( cuisson pauvre en oxygène ) et d'une cuisson à proximité de la flamme ( ce qui va entrainer une atmosphère pauvre en oxygène et majoritairement saturée en dioxyde de carbone ). Inutile de dire que la maîtrise doit être grande et que la casse au sein du four doit être importante. Cela donne une couverte aux tons dominés par le gris, les nuances allant de gris très profonds avec des reflets bleus à des gris clairs relativement pâles.

bizen

Enfin, le genre Sangiri, en particulier comme ci-dessus, combine plusieurs effets dont le Aobizen, mais de façon plus complexe, car les pièces sont partiellement et imparfaitement recouvertes d'une épaisse couche de cendre lors de la cuisson, mais aussi par d'autres pièces cuites en même temps, ce qui crée des effets innombrables de couleurs dues aux différences de températures de cuisson ainsi obtenues et à la cuisson également ainsi obtenue de certaines parties seulement en réduction, ce qui donne des effets allant du noir aux effets de lignes irisées quasi invisibles données à l'argile cuite sans couverte de retombée.

sangiri

Bien conscient que tout cela est peut être abrupt au premier abord, je résumerai pour faciliter une éventuelle consultation :

- Hidasuki : des cordes de riz sont attachées autour de la pièce, par ailleurs protégée des retombées de cendres ( et donc produite avant tout dans des fours modernes avec une cuisson au gaz ou à l'électricité ). En brûlant, les cordes vont marquer la pièce de céramique.

- Goma : les retombées de cendres de pin créent une couverte où dominent des petits points semblables à des grains de sésame.

- Kasegoma : la couverte se forme de la même manière que pour le gomma mais donne des couleurs allant vers des tons verts plus ou moins profonds.

- Botomachi : une "tache" de couleur claire, c'est-à-dire plus claire que le reste de la couverte majoritaire de la pièce, est formée par l'application, pendant la durée de la cuisson, d'une pièce de terre réfractaire sur la partie qui sera plus claire à la fin de la cuisson.

- Fuseyaki : technique proche de la précédente, qui donnera donc généralement le même résultat, et qui consiste à poser une pièce plus petit sur une autre plus grande.

- Aobizen : effet d'une cuisson en réduction produisant toute une gamme de gris sur l'ensemble de la pièce.

- Sangiri : effet produit par la cuisson d'une partie seulement de la pièce en réduction du fait d'un enfouissement partiel de la pièce dans la cendre.

bol à thé japonais bizen

Ce dernier type est sans conteste le plus répandu avec le genre Goma et le genre Hidasuki. Les genres Botomachi et Fuseyaki quant à eux se rencontrent généralement que sur de grandes pièces comme les plats ou sur les Tokkuri. Mais de façon globale, les pièces présentent presque toujours le résultat d'un ou deux techniques, effet volontaire ou non. Le genre Hidasuki est relativement décrié par certains,  comme Robert Yellin, qui le range dans la catégorie de ce qu'il appelle le "plastic bizen" ou "Bizen de plastique", à savoir des pièces tournées et cuites en grande quantité dans des fours modernes fonctionnant au gaz de piètre qualité selon lui. Il est vrai que 99% des pièces de type Hidasuki sont très généralement exécutées à la chaine, sans recherche particulière de modelage, de création ou d'effet artistique et sont surtout destinées à une consommation "courante" de particuliers ou  de restaurants recherchant surtout un moindre coût. Pour ma part, si toutes les pièces céramiques n'ont pas la même qualité d'exécution et la même valeur artistique, je trouve que ces pièces ne doivent pas forcément être rejetées car elles ont leurs qualités propres. De plus, le genre Hidasuki peut être vu comme une réponse aux  contingences modernes et comme une preuve de la vivacité du style de Bizen, qui perdure depuis le 12ème siècle. On notera enfin qu'avec les moyens de cuisson modernes, le Goma, le Sangiri et l'Aobizen peuvent être obtenus de façon tout à fait artificielle et ne sont plus "réservés" aux cuissons au bois.

4 commentaires:

lionel a dit…

Après Hagi, encore une fois un bel article sur les céramiques japonaises...
Merci.
Le bol de style Sangiri est très beau...
Trouves-tu que ces céramiques de Bizen changent fortement le goût du thé ? Un même thé est très différent dans du Hagi-yaki par rapport à du Bizen ?
Tu parles en alternance de pu er et de céramiques japonaises sur ton blog, mais quels thés japonais bois-tu ? (en tant qu'amoureux du thé japonais je suis curieux...).

Tsubo a dit…

Pour répondre franchement à la première partie de ta question, je ne sais pas. Peut être parce que je n'ai jamais fait le test de boire le même thé, ou la même eau, dans des bols différents au même moment. Je ne sais donc pas si une telle différence serait perceptible ou surtout si je serais capable de la percevoir.

Maintenant, la céramique de Bizen est très largement moins poreuse que celle de Hagi. Là, ce n'est pas difficile de le constater : on rempli chaque bol de thé ou d’eau et on patiente : au bout de 5 minutes, le Hagi aura "bu" une part visible du thé, mais pas le Bizen !

Je ne peux donc que supposer que le Hagi modifierait plus le goût du thé ?

Pour ce qui est des thés japonais, c'est le matcha bien sûr qui vient en premier dans ma consommation, suivi des Tamaryokucha et des Sencha. Je bois peu de Gyokuro par contre et pas du tout de Genmaicha. Je buvais, à une période, uniquement du thé vert japonais, ce qui n'est plus vraiment le cas en ce moment, ou je bois plutôt du thé vert chinois ... pour être franc, tout dépends de l'envie du moment et je fonctionne surtout pas "période" de prédilection exclusive pour tel ou tel type de thé pour en changer un beau jour et me consacrer à une autre sorte de façon tout aussi exclusive après une brève période de "transition" !

Unknown a dit…

Excellent Article sur le Bizen,
qui est tres difficile a voir en France. Seulement a Sevres ou aux expositions specifiques.

Il existe une galerie boutique de Ceramique Japonaise : Yakimono ! qui propose des pieces de Bizen sur Paris

Tsubo a dit…

Merci ! C'est vrai que c'est un style assez difficile à trouver, et plus encore quand on veut de belles pièces de Bizen ... maintenant, avec Internet et un œil averti, ce n'est pas insurmontable ...